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Voyage à Lesbos

Le printemps des oiseaux

Bruant mélanocéphale


Le retour des beaux jours sur l'île de Lesbos est un moment privilégié. Le tapis de fleurs sauvages qui recouvre tous les milieux, les oiseaux chanteurs qui s'en donnent à cœur joie et le foisonnement des espèces font de l'île le rendez-vous incontournable des ornithos.

Lentement, très lentement, le monastère d'Ipsilou émerge de la brume matinale. Son austère muraille prolonge parfaitement l'éperon volcanique lui servant de base. Une route étroite et tortueuse y conduit. Nous la suivons avec lenteur. Un tiercelet de faucon pèlerin surveille son vaste territoire depuis les éboulis rocheux. Curieusement, il occupe l'endroit choisi autrefois par la buse féroce pour y cacher son aire. Plus loin, un traquet oreillard mâle, presque noir et blanc, nous accompagne nerveusement. Nous évitons la petite base militaire à droite, pour atteindre une zone rocailleuse à la végétation clairsemée. L'alouette lulu exerce sa mélodieuse strophe descendante, indifférente à l'activité brouillonne d'une petite bande d'ortolans. Ceux-ci sont méfiants, visibles peu de temps avant de se cacher dans les touffes d'herbes rases. En plumage nuptial, la distinction avec le bruant cendrillard n'est pas trop difficile pour des oiseaux très semblables : la moustache et la gorge sont de couleur jaune chez l'ortolan et franchement orange chez le cendrillard.

La dernière partie du chemin se fait obligatoirement à pied. Depuis le parking, la vue s'étend en plans successifs vers les côtes turques. Plus proche, en bordure de mer, le petit village de Sigri paraît bien calme avant le rush touristique de l'été. Un soleil printanier inonde maintenant le monastère. Le sentier est raide, une première halte permet d'observer sur le fil électrique, un moineau soulcie très bavard, gorge jaune bien visible. Sur la droite, les terrasses autrefois cultivées font place aux amandiers. Des dizaines de migrateurs voltigent à la recherche des insectes. Pêle-mêle, on remarque les gobe-mouches (noir, gris et à collier), les fauvettes à tête noire et les pouillots siffleurs. Il ne faut pas hésiter à pousser la lourde porte de bois de la première enceinte et se promener dans le cloître. Sur la façade, un oiseau gris bleu disparaît dans un trou au-dessus d'une fenêtre. La sittelle de Neumayer nous surprend une nouvelle fois. Son gros nid de boue séchée est parfaitement invisible. Comment l'oiseau arrive-t-il à trouver la même couleur que la roche ? Mystère ! Nous constatons simplement qu'à chaque fois, son nid en forme d'entonnoir de plus de trente centimètres à la base, serait invisible sans les allées et venues de l'oiseau. Le dernier bâtiment, au fond du cloître, héberge le nid d'une espèce beaucoup plus farouche : le monticole bleu. Il ne se laisse absolument pas approcher, hésitant longuement avant de plonger vers sa couvée, une grande ephippigère dans le bec.

Pour quitter le monastère, la nouvelle route en sens unique, traverse une petite forêt de chênes abrités des vents dominants. C'est l'endroit idéal pour admirer le plumage exotique des loriots contrastant avec celui très mimétique des torcols. Proche du dernier virage avant la route principale, un passereau discret et grisâtre lance une brève chanson depuis le sommet d'un petit arbre. Le bruant cendré n'est pas plus spectaculaire que son chant, mais c'est le plus rare de nos bruants. Avec une petite centaine de couples seulement, Lesbos et quelques autres îles proches de la Turquie constituent son dernier refuge européen.

Après Ipsilou, nous reprenons la route principale vers Sigri. Les quelques kilomètres avant le croisement vers "petrified forest" sont favorables à l'observation du traquet isabelle. Souvent nerveux, il se dresse tout droit sur ses longues pattes, avant de poursuivre un adversaire. Le secteur est également réputé pour nos amis botanistes, puisqu'on y a découvert en 2005 le seul pied d'Ophrys lesbis, orchidée endémique de l'île, devenue rarissime.

Vers le village de Sigri

La nouvelle route vers la curiosité géologique de Lesbos est remarquable. Elle traverse une steppe caillouteuse, couverte d'une végétation rase extrêmement favorable à la perdrix choukar. En avril, le matin, on a les meilleures chances de surprendre le mâle perché sur un rocher. Tête relevée, il lance avec fougue son chant territorial, puis stationne longuement sur son perchoir. C'est le moment d'exercer son sens de l'observation pour différencier choukar et bartavelle ! Le long de cette route, on ne peut manquer également le cochevis huppé et le bruant cendrillard, tous deux nicheurs communs. La bergerie à droite abrite depuis longtemps un couple de chevêches d'Athéna. À chaque passage, les petites chouettes nous dévisagent avec des mouvements de tête bien comiques. Un kilomètre plus loin, un autre couple occupe les bâtiments près du parking, devant la forêt pétrifiée. On peut visiter pour admirer ces troncs fossiles vieux de vingt millions d'années, appartenant à une variété archaïque de pins Pinoxylon paradoxum. Avant de rejoindre la route principale, la petite mare proche du dernier virage mérite une halte pour y observer batraciens et reptiles.

La descente vers le village de Sigri est souvent accompagnée par les adeptes du vol de pente que sont les faucons crécerellettes. Arrivés en bord de mer, nous longeons la côte vers le nord. Si le vent a été favorable, c'est un formidable endroit pour les migrateurs qui arrivent par vagues successives. La recherche des premiers faucons kobez et des gobe-mouches à demi -collier motive alors de nombreux ornithologues. Un peu plus loin, on croise un petit cours d'eau grouillant de têtards. Cela attire de nombreux chevaliers sylvains et quelques arlequins, arborant déjà un plumage sombre. En plus, si l'on sait se montrer discret et calme, il est fréquent de voir le blongios nain profiter également d'une pêche aussi facile. Hélas, depuis deux ans, les rives ont été nettoyées de leur superbe ornement végétal, nous privant ainsi des mémorables parties de cache-cache avec les marouettes. Enfin, vers la plage, l'embouchure de cette rivière forme un mini-estuaire propice aux hérons pourprés, aux ibis falcinelles et parfois aux vanneaux éperonnés.

Pour repartir, nous choisissons toujours la route menant à Eressos, une des plus sauvages de l'île. Sans trop de difficulté, on remarque la buse féroce et le circaète Jean-le-Blanc au vol entrecoupé de surplace majestueux. Après Eressos, on découvre un autre aspect de Lesbos avec les nombreux troupeaux de brebis. En position de mêlée de rugby, tête au centre, ces nonchalantes créatures ont pris l'habitude de ruminer en paix au milieu de la chaussée. On s'arrête souvent pour les déloger, imperturbablement, elles reprennent aussitôt leur rêverie... Impossible de leur en vouloir, elles sont à l'origine d'une succulente feta, incomparable accompagnement des salades grecques ! La relative lenteur qu'elles imposent permet de surprendre, dans les zones rocailleuses, d'autres sittelles de Neumayer, de nombreux bruants et régulièrement la mésange lugubre. Cette dernière semble particulièrement fidèle à son territoire. Depuis maintenant huit ans, nous la retrouvons nichant dans la même crevasse d'un éboulis rocheux.

Plus loin, nous longeons le golfe de Kalloni, véritable mer intérieure, pour atteindre les marécages de Parakila réputés pour l'observation des marouettes, des rousserolles, de l'hypolaïs pâle, et de la locustelle luscinoïde. Puis, le soleil déclinant, nous retrouvons d'autres ornithologues autour de la grande mare face à Skala Kalloni. Cette petite station balnéaire est devenue au fil des ans, le rendez-vous incontournable des amateurs d'oiseaux. Venant de toute l'Europe et même d'Amérique, jeunes et anciens se retrouvent ici chaque année au mois d'avril pour partager la même passion. Les citoyens britanniques sont les plus nombreux et les français les plus rares, comme d'habitude ...

Le choix de Skala Kalloni ne doit rien au hasard et offre beaucoup d'attraits. Il faut d'abord visiter le petit port, c'est un endroit charmant avec un charpentier de marine travaillant encore à l'ancienne.

L’endroit idéal pour découvrir des espèces orientales

À chaque voyage, notre première visite est pour le pélican blanc, mascotte des pêcheurs. Il avait un nom compliqué que l'on avait simplifié en "Ernestos". C'était le personnage important du port, vérifiant de sa démarche chaloupée l'arrivée de la marée. De bonne grâce, les pêcheurs lui envoyaient de jolis poissons ; en fin connaisseur "Ernestos" se montrait extrêmement sélectif. Hélas, il est mort durant l'hiver 2004 après deux décennies de règne sans partage. En avril 2005, nous faisons la connaissance de son successeur, un juvénile encore très sombre et surtout beaucoup moins affable.

Proches de Kalloni, deux rivières et un vaste marais salant attirent un grand nombre de limicoles. Les bécasseaux (minute, de Temminck et cocorli) arrivent par vols compacts dans les endroits bien dégagés. Les chevaliers sylvains dominent par leur nombre les culblancs, guignettes, aboyeurs, stagnatiles et arlequins. Enfin, de grandes bandes de combattants variés occupent souvent le lit caillouteux des cours d'eau. Les digues du marais salant cachent les nids des avocettes et des échasses. Elles servent aussi de reposoir à de nombreux oiseaux, dont les sternes (caspienne, caugek ... ) et les guifettes (moustac, leucoptère). En une seule journée, il est tout à fait possible d'observer dans cette région, plus de soixante espèces, avec en plus de grandes chances de voir longuement la cigogne noire prendre son repas près du déversoir.

De l'autre côté du village, enserrée dans de minuscules champs, presque des jardins, se cache une petite merveille : une retenue d'eau douce, alimentée par un dédale de canaux. C'est probablement l'endroit où l'on aura le plus de chance de rencontrer la marouette poussin et la marouette ponctuée. Début avril, on y trouve aussi le butor étoilé ainsi que le crabier chevelu ; un peu plus tard, c'est le blongios nain qu'il faut chercher. L'épaisse roselière, surmontée de quelques tamaris sert de repos diurne au bihoreau gris et en fin de journée à une multitude d'hirondelles de rivage. Les berges abritent une importante population de tortues aquatiques représentée par l'emyde caspienne très commune, et la cistude d'Europe plus rare.

L'autre joyau de Lesbos

Enfin, une vieille forêt de pins à quelques kilomètres de Kalloni, cache la sittelle de Krüper, un autre joyau de Lesbos. C'est aussi un oiseau rare en Europe, avec moins de cent couples sur les îles de la mer Egée. Différente de sa cousine corse par son plastron roussâtre, elle mène une existence discrète dans les grandes futaies de Pinus brutia du sud-est de l'île. Depuis une dizaine d'années, elle niche dans un camp militaire occupé de façon sporadique par l'armée. En l'absence des soldats, on assiste au mois d'avril au défilé de ses admirateurs. Campée derrière une forêt de tripodes, une population hétéroclite contemple les acrobaties de la sittelle avec un profond respect de l'oiseau et de l'environnement. La bonne humeur est générale quand, par quelques petits cris, le mâle prévient la femelle de son arrivée. Celle-ci se présente à l'entrée de la cavité, accepte la nourriture proposée, puis retourne couver. Le nid occupe une crevasse ou une ancienne loge de pic mar dans un vieil arbre creux et ne présente pas d'aménagement particulier façon torchepot. L'endroit est utilisé d'une année sur l'autre, jusqu'à sa destruction naturelle. Ainsi en huit ans, nous constatons l'utilisation de trois arbres successifs dans un rayon d'une cinquantaine de mètres.

Outre la sittelle de Krüper et le bruant cendré, Lesbos héberge d'autres raretés comme l'hypolaïs des oliviers, dont la grande taille (à peu près celle de la rousserolle turdoïde) surprend pour un oiseau aussi difficile à observer. Citons également la fauvette de Rüppell, localisée dans la région de Molivos. Au printemps, la "moustache" blanche du mâle ne passe pas inaperçue tant il s'égosille au sommet des buissons.

La dernière semaine d'avril marque le passage des migrateurs tardifs comme l'agrobate roux, la pie-grièche écorcheur, le guêpier d'Europe et le bruant mélanocéphale. Ce dernier arrive massivement. En quelques jours, les mâles se taillent un territoire à grand renfort de poursuites depuis les postes de chant. C'est le moment de détailler leur splendide plumage, tout nuancé de roux et de brun sur fond jaune vif. Une semaine après les mâles, les femelles arrivent pour choisir le meilleur chanteur, donc le meilleur territoire sans doute !

Enfin, Lesbos est probablement l'endroit idéal pour découvrir d'autres espèces orientales comme la bergeronnette citrine, les printanières de type feldegg ou superciliaris, la pie-grièche masquée ou la fauvette épervière. Sans oublier les plus communs: le moineau espagnol, le cochevis huppé et le bruant proyer qui complètent la liste des 320 espèces observées sur l'île.

Une destination recherchée

Les anglais disent de Lesbos que c'est un endroit magique. Après huit voyages, nous ne pouvons qu'approuver, tant cette île a de charmes et d'attraits, tant l'accueil y est chaleureux. Là-bas, le printemps est magnifique ; un tapis de fleurs sauvages recouvre les milieux les plus divers, s'échelonnant de la montagne au bord de mer. Même les terrasses plantées de vénérables oliviers (il y en a plus de onze millions, soigneusement entretenus et taillés) sont tapissées d'anémones rouges ou bleues, de muscaris, d'orchidées : Ophrys mammosa, cornuta, sicula. À ce titre, l'arrivée au village d'Agiasos est somptueuse, vous ne risquez pas de l'oublier !

Si Lesbos est devenue une destination aussi recherchée, c'est à l'anglais Richard Brooks qu'elle le doit. Suite à un premier voyage en mai 1991, suivi de deux autres les années suivantes, cet homme enthousiaste et généreux a voulu partager son expérience en publiant un premier guide: "Birding in Lesvos". Le succès fut immédiat et les touristes de plus en plus nombreux. Après un minutieux travail de compilation, de croisement d'observations et de photographies sur place, une refonte complète fut publiée en 1998 sous le nom de : "Birding on the Greek island of Lesvos". C'est un guide fort pratique, avec de nombreux plans et descriptions des sites intéressants pour l'observation des espèces recherchées. Il est accompagné à peu près tous les deux ans d'une mise à jour détaillée, car à Skala Kalloni, chacun peut consigner ses propres observations sur un classeur déposé à la réception des principaux hôtels de la localité. Chaque hiver, Richard effectue sa compilation ...

Source texte : L'Oiseau magazine N° 82 - Printemps 2006






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