Vers une désertification des océans

La pêche n'a pas le moral car elle n'a pas de morale

Photographie Jacques Nicolin


Entre les marées noires, les rejets agricoles, l’acidification des océans et surtout la surpêche, le monde marin a un sombre avenir devant lui. Malgré les innombrables avertissements lancés par les protecteurs de la nature et les scientifiques, les politiques ne semblent pas mesurer l’ampleur de la catastrophe. Pourtant les stocks de poissons ne sont pas illimités et il nous faut changer nos habitudes de consommation de toute urgence !


Un gigantesque gaspillage

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), 47 % des stocks de poissons mondiaux sont complètement exploités et 18 % surexploités. Ces chiffres témoignent de l’immense part de responsabilité de la, surpêche dans le processus de désertification du milieu marin.

Il faut savoir qu’aujourd’hui, les captures en mer dépassent 90 millions de tonnes par an et que le tiers de ces prises soit, selon la FAO, entre 27 et 40 millions de tonnes de poissons indésirables, de crustacés, d’oiseaux de mer, de tortues marines et de mammifères marins sont rejetés à l’eau morts ou affaiblis.

La principale raison expliquant la démesure de ces prises "inutiles" est l’emploi de méthodes de pêche très peu sélectives. L’utilisation des filets dérivants mesurant parfois 100 km de long n’a cessé de se développer. En 1990, les flottes des divers pays immergeaient chaque nuit une longueur cumulée d’environ 25 000 miles de filets, l’équivalent du périmètre de la Terre, qui capturent tout sur leur passage ! (1).

Ce phénomène de surpêche a conduit, dans un premier temps, à la raréfaction des poissons de surface (lottes, morues…). Si bien que les pêcheries n’ont rien trouvé de mieux que d’exploiter les profondeurs.

Aujourd’hui, on pêche jusqu’à 1000 mètres de fond avec des filets lestés d’énormes rouleaux métalliques pour tenter de capturer davantage de vie benthique. Chaque année, cette technique destructrice affecte une surface de fond marin égale à deux fois celle des États-Unis continentaux (2) et entraîne la surexploitation d’espèces encore peu connues.


Une vie marine surexploitée

Pêchant de plus en plus profond, les grands chalutiers capturent chaque jour de nouveaux crustacés mais aussi de nouveaux poissons comme l’empereur ou le grenadier de roche, généralement des mets de choix ! Ces espèces se reproduisent moins rapidement que les autres et sont donc particulièrement fragiles. Par exemple, l’empereur vit jusqu’à 150 ans et ne peut se reproduire qu’à partir de 30 ou 40 ans. Une des réserves de ce poisson exploitée par 50 navires a été exterminée en seulement quatre ans ! (3)

Récemment, deux chercheurs de Dalhousie University ont estimé que dans les quinze dernières années, la mer a été vidée de 90 % des gros poissons tels que les thons, les esturgeons, les requins, etc. Les raies, morues, cabillauds, daurades et mérous ont aussi disparu en certains points des océans en raison des captures excessives mais aussi du réchauffement climatique qui force ces espèces à migrer vers le nord.

Aujourd’hui, la liste rouge des poissons marins en danger comprend plus de 100 espèces. (4)

Autre fait inquiétant : les prises concernent essentiellement les poissons de petites tailles (petites espèces, alevins et juvéniles) ce qui provoque un déséquilibre dans la chaîne alimentaire et dans les écosystèmes marins. Si l’on continue ainsi, à terme, les stocks ne pourront plus se reconstituer.

Il ne faut pas non plus négliger la part de responsabilité des braconniers des mers qui pillent les océans, détruisant et désertifiant l’écosystème marin. En 2001, Greenpeace estimait à 1300 au moins le nombre de navires pratiquant à échelle industrielle la pêche illégale en mer. L’ONU estime que globalement, plus de 4 milliards de dollars sont ainsi perdus chaque année au détriment des populations locales, laissées sans subsistance et sans revenus.

Qu’il soit légal ou illégal, ce pillage mondial concerne chaque pays, chaque gouvernement et pourtant rares sont ceux qui prennent position pour protéger les océans.


Pourquoi les gouvernements ne font rien ?

Pour l’heure, seuls huit pays ont interdit totalement ou partiellement le chalutage de fond : Nouvelle-Zélande, Indonésie, Philippines, Écosse, Italie (Sicile), Kenya, Seychelles, Grèce et montrent une phase de repeuplement (5). Il est grand temps que la France prenne des dispositions similaires : limitation des quotas, interdiction de pêcher certaines espèces menacées de disparition, interdiction d’employer certaines techniques destructrices.

Nos différents Ministres de la pêche, pris entre réalité scientifique et pression économique, préfèrent, semble-t-il, adopter le langage de la surexploitation plutôt que celui de la vision à long terme.

Privilégiant leur avenir électoral à l’avenir de l’humanité, ils se réjouissent de "victoires" pour la profession lorsqu’ils obtiennent de gros quotas, et se désespèrent quand des limitations strictes sont imposées.

La tendance actuelle des volontés politiques s’éloigne donc cruellement de toute logique de "développement durable" censée promouvoir la gestion à long terme des populations exploitées.

Cette année, par exemple, la France, qui interdisait la commercialisation de plus de 5 tonnes de bars par semaine et par bateau, avait décidé que dorénavant seule la capture en eaux françaises serait limitée à 5 tonnes. Résultat : quand les chalutiers avaient atteint leur quota, ils passaient dans les eaux anglaises et pêchaient sans restriction avant de revenir débarquer le tout en France en toute légalité (6).

Vraisemblablement, sous la pression des pêcheurs de ligne mécontents, un arrêté rétablissant la validité de ce quota de commercialisation de 5 tonnes sera pris en janvier 2007. Ces décisions même locales sont, primordiales car elles participent à la prise de conscience générale.

Mais pour être efficaces, les futures solutions devront être statuées à l’échelle mondiale.


Des solutions internationales de grande envergure

Actuellement, aucune réglementation ne peut prétendre réduire efficacement la surpêche dans le monde : moins de 0,01 % de la surface des océans est protégée de la pêche (7), et cette activité s’effectue en grande partie dans les eaux internationales, territoires où aucune réglementation ne s’applique.

Seule l’ONU pourrait avoir le pouvoir moral de pousser les pays à un moratoire (8). Cette solution serait évidemment la plus efficace pour enrayer la chute phénoménale des stocks de poissons.

D’ailleurs, les écologues ont recommandé la mise en place d’ici à 2012, d’un réseau mondial d’aires marines protégées équivalant à 20 ou 30 % de la surface des mers et océans de la planète (soit 40 à 60 fois plus qu’aujourd’hui) restreignant ou interdisant localement la pêche et les activités agressives pour l’environnement.
Ce projet permettrait la création de 830 000 à 1,1 millions d’emplois et les pêcheurs se transformeraient alors en gardes des mers. Le coût de ce projet approche les 5,4 à 7 milliards de dollars, somme nettement inférieure aux 15 à 30 milliards octroyés pour subventionner la pêche (9).

Dans tous les cas, s’engager dans une telle démarche nécessiterait plus d’une décennie pour la plupart des pays. Et devant l’urgence de réduire les conséquences de la surpêche, nombre d’entre eux ont opté pour l’élevage afin de satisfaire les demandes croissantes des consommateurs.


La pisciculture, une solution peu convaincante !

Considérée à ses débuts comme une alternative efficace pour alléger les pressions sur les réserves de poissons sauvages, la pisciculture a, petit à petit, dévoilé son lot de conséquences problématiques sur l’environnement.

Le premier paradoxe concerne l’alimentation de ces poissons d’élevage : chaque année, 30 millions de tonnes de poissons (1/3 des captures mondiales) sont transformées en 6,5 millions de tonnes de farines et 1,2 millions de tonnes d’huile, constituants essentiels de l’alimentation des poissons d’élevage.


Pour obtenir 1 kg de poisson d’élevage, il faut donc 2 à 6 kg de poissons sauvages pêchés !

D’autres faits sont tout aussi inquiétants. La proximité des poissons d’élevage entraîne un accroissement important du nombre de maladies. Pour pallier ce problème, les pisciculteurs utilisent des produits chimiques comme des désinfectants, des antibiotiques contre les parasites, mais aussi des stéroïdes pour produire plus de femelles ou des hormones pour accélérer leur croissance. Cette mixture se mélange à l’eau environnante, bouleversant ainsi les écosystèmes alentour.

Si l’élevage de poissons carnivores pose en effet de nombreux problèmes, il en est autrement pour les poissons herbivores comme les carpes. Malheureusement ce type de poissons n’est pas apprécié en occident, le marché peine à se développer.


Des solutions ?

En tant que consommateur, chacun peut agir à son échelle pour enrayer cette surpêche. Pour ce faire, l’ASPAS propose quelques conseils :
– Éviter de consommer certains poissons (cf. Tableau pages suivantes)
– Éviter les poissons chers qui font exploser les cours, et préférer les moins chers
– Boycotter les "mauvais" souvenirs de bords de mer : colliers de corail, coquillages, étoiles de mer, hippocampes séchés…

Il aurait été intéressant de mentionner les poissons à privilégier. Cependant, la situation est telle, qu’il est impossible de conseiller la consommation de certaines espèces sur le long terme : si une espèce très répandue aujourd’hui vient à être surexploitée, elle peut, en quelques années, disparaître totalement.


La surpêche tue aussi des oiseaux et des mammifères marins !

En 1994, on estimait qu’entre 50 000 et 100 000 oiseaux piscicoles étaient morts de faim. Les oiseaux marins rencontrent de plus en plus de difficulté pour nourrir leurs petits, et les couvées connaissent des échecs grandissants sans compter que ces espèces sont aussi gravement affectées par les marées noires.

Pour la seule année 1998, les scientifiques ont estimé que les palangres (de longues lignes traînant des centaines d’hameçons) ont tué plus de 100 000 oiseaux marins dans les mers australes (10).


Si ce sujet vous intéresse, consulter :
- http://jerale.hautetfort.com/archive/2005/04/index.html
- Le Courrier international n° 779
- BBC Wildlife, May 2006

1 La vie secrète des dauphins, n° 184
2 PNUE. www.grid.unep.ch
3 Libération, 01/12/04
4 "poissons le carnage", éd. Tahin Party
5 PNUE. www.grid.unep.ch
6 Ouest-France 21/03/06
7 "poissons le carnage", éd. Tahin Party
8 Libération, 01/12/04
9 Le Monde, 11/03/05
10 Greenpeace

Source : Goupil n° 86 (Revue de l'ASPAS) — juin 2006.


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